Nanar d’ Août 2016 _ Comment se faire réformer.

  • Mis à jour : 29 septembre 2018

La France est en guerre ! Heureusement que le présentateur des années 70 n’est plus là pour nous dire que la « France a peur », mais enfin, pas de mal de politiciens de tout poil n’arrêtent pas de nous sensibiliser sur le fait des attentats terroristes et certains envisagent même de rétablir la conscription.

En prévision de ce retour en arrière et pour ceux qui ne souhaiteraient pas se retrouver obligé d’aller sous les drapeaux, je vous propose les bonnes recettes rappelées dans un Nanar de 1978 : « COMMENT SE FAIRE REFORMER ». Film français réalisé par Philippe Clair en 1978.

Dans les années 1970, bien avant l’événement planétaire que fut l’élection de Jacques Chirac, les jeunes français vivaient les merveilles du service militaire, cette longue année de socialisation et d’interactivité festive où corvées de chiottes et grosses blagues de chambrée rythmaient un viril et joyeux apprentissage de la vie d’homme. Alors que cette époque bénie où les jeunes apprenaient encore les vraies valeurs au lieu de fumer des cigarettes de drogue sombre dans l’oubli, il serait temps de reconnaître son véritable apport au patrimoine français : le film de bidasses ! De « Tire-au-flanc » (en 1933, môssieur !) aux « Bidasses en Vadrouille », en passant par « Les Bidasses en Folie » et « Les Planqués du régiment », le comique troupier a vu les plus raffinés de nos humoristes rivaliser de finesse, d’invention et de concours de pets pour illustrer la spécificité française en matière de saine poilade. Il était tout naturel que Philippe Clair, digne successeur de Jacques Tati dans le domaine de l’humour en demi-teinte, s’illustrât dans un genre si prisé du public.

L’action débridée de « Comment se faire réformer » suit les efforts plus ou moins inspirés d’un groupe d’appelés, qui pour couper au service, qui pour égayer simplement la vie de caserne, sous la surveillance moyennement compétente d’un adjudant pied-noir interprété par Philippe Clair lui-même. Les bidasses sont interprétés par la troupe des « 13 cloches », une troupe de comiques à géométrie variable présente dans trois films de Clair. La composition du groupe changeant énormément d’un film à l’autre, on retiendra principalement : le futur cinéaste Hervé Palud, ici dans un rôle de gros dur ; Pierre Triboulet, sorte d’intellectuel décalé aux limites de la psychose ; Daniel Derval, grande folle à la voix de fausset ; Eddy Jabès, belge intellectuellement limité ; Philippe Sochon, hippie à la ramasse. Rien que des acteurs qui devront rendre hommage à Nanarland de les avoir fait revenir sur le devant de l’écran (de PC)

Hervé Palud exige d’être incorporé avec sa gonzesse : « j’y peux rien, j’lai dans la peau, faut que j’couche ».

Les autres personnages sont quelque peu en retrait, mais garantissent au film un quota de silhouettes pittoresques, avec notamment un yogi régulièrement interrompu dans son exercice de lévitation et un juif orthodoxe joué par un Richard Anconina (Eh ! oui il fait bien vivre) en début de carrière.


Le yogi lévite dans son sommeil.

La vedette est ici malheureusement tenue par deux des membres les moins doués de la troupe, Christian Parisy (le héros) et Michel Melki (son sidekick maladroit), deux espèces de cabotins de dernière zone tellement peu drôles qu’ils restent pas drôles. Ce sont malheureusement les mésaventures sentimentales de Christian Parisy avec la fille du colonel qui serviront de fil conducteur au récit, l’alourdissant considérablement au passage.


Michel Melki (à droite) continue une carrière de comédien dans des téléfilms ; Christian Parisy semble heureusement avoir disparu de la circulation.

Il faut dire que le cahier des charges du film de casernes n’est pas forcément le meilleur cadre pour Philippe Clair, dont la capacité à partir en vrille est ici légèrement bridée. La volonté de réaliser un film « tout public » est moins propice aux véritables délires surréalistes que l’on pouvait observer dans des films comme « La Brigade en Folie » ou « La Grande Maffia ». Néanmoins, le réalisateur dispose de plusieurs atouts lui permettant de se positionner au-dessus de la moyenne du film de bidasses : tout d’abord, les 13 cloches qui, si tous ne montrent pas des personnalités transcendantes, comportent suffisamment de zébulons parvenus à divers stades de démence pour remplir amplement le quota de gags navrants. Le cabotinage frénétique en totale roue libre de Daniel Derval donne à son personnage de grande folle une dimension suffisamment dantesque pour que l’acteur ait ensuite pu bâtir une petite carrière en reprenant inlassablement le même numéro d’un film à l’autre.


Comment Se Faire Réformer - Philippe Clair (2... par Crywolfy

Daniel Derval monte la garde.

Fernand Legros, célèbre escroc du milieu de l’art présent également dans « Ces flics étranges venus d’ailleurs » et « Les Réformés se portent bien », joue ici le rôle du médecin du régiment.

Si on l’on peut citer les prestations d’Hervé Palud en gros dur hyper-macho et de Philippe Sochon en baba-cool, la véritable touche de démence du film vient du personnage de Pierre Triboulet, dans un rôle d’écrivain totalement cramé de la cervelle : l’acteur, qui devint ensuite l’un des comiques de cabaret les plus incompréhensibles qui soient, apporte à son rôle une allure véritablement malsaine. On hésite à diagnostiquer une véritable maladie mentale ou un talent incompris chez le comédien, qui reprit lui aussi le même personnage avec une constance inquiétante.

Le deuxième atout du film, c’est Philippe Clair en personne qui, livré à lui-même, cabotine avec une délectation non dissimulée, jouant de son accent pied-noir avec une telle outrance qu’on le croirait parfois possédé par un imitateur à la Michel Leeb. S’il en fait trois tonnes et demie avec une remarquable absence de subtilité, notre Philou a vraiment l’air de s’amuser, et apporte à son personnage une certaine dose de sympathie.
Bien que rythmé par des gags pas forcément très inventifs, « Comment se faire réformer » bénéficie d’un véritable concert de cabotinages divers et variés, qui s’entrechoquent et se subliment les uns les autres jusqu’à atteindre l’aspect d’une chorale post-moderne, faisant fi de la cohérence et des accords telle l’œuvre d’un Pierre Boulez du comique franchouillard. Les numéros des comédiens, tous laissés la bride sur le cou, transcendent la relative banalité du scénario pour faire du film un fier fleuron du comique troupier, en attendant la véritable explosion que constituera « Ces flics étranges venus d’ailleurs », troisième, dernière et meilleure collaboration du bon Philippe avec les 13 Cloches.

Leçon de danse pour toute la chambrée !

Même si « Comment se faire réformer » fait figure d’oeuvre mineure dans l’œuvre de Philippe Clair, il se laisse néanmoins suivre avec plaisir, et nous ferait presque regretter le temps du service militaire : à l’époque, au moins, les jeunes avaient de saines distractions et pouvaient se détendre avec des films de bidasses au lieu d’écouter de la musique technologique dans des parties de rave !


Extraits de "Comment se faire réformer" par DarkDeath