Colette Dacheville, dite Stéphane Audran, est une actrice française, née le 8 novembre 19321 à Versailles et morte le 27 mars 2018.
BIOGRAPHIE
Origines et débuts
Stéphane Audran est née à Versailles en 1932. Son père, Corneille Dacheville, médecin, meurt alors qu’elle a six ans. Son enfance est difficile, car elle est de santé fragile . Sa mère, Jeanne Rossi, qui a perdu sa première fille en bas âge, est obsédée par la santé de sa fille cadette. Stéphane Audran montre très tôt un goût pour le déguisement et la comédie, mais sa mère n’approuve pas son rêve de devenir actrice. Après ses études secondaires au lycée Lamartine de Paris, Stéphane Audran suit les cours d’art dramatique de Charles Dullin, Tania Balachova, Michel Vitold et René Simon.
Stéphane Audran rencontre Jean-Louis Trintignant au cours Dullin et ils se marient le 18 novembre 1954. Elle commence sa carrière au théâtre dans « La tragédie des Albigeois » de Maurice Clavel et Jacques Panijel en 1955, pièce dans laquelle joue aussi son mari. Elle poursuit la même année sa carrière dans « La Maison carrée, » puis obtient un rôle dans « La Nuit romaine » en 1957. Contrairement à plusieurs de ses anciens camarades de cours de théâtre, comme Delphine Seyrig, Michael Lonsdale, Laurent Terzieff ou Trintignant, Stéphane Audran n’obtient pas un grand succès sur scène. Daniel Costelle lui offre son premier rôle au cinéma en 1957, dans son court-métrage « Le Jeu de la nuit » puis elle enchaîne avec des petits rôles dans des longs-métrages, sous la direction d’Éric Rohmer, Jacques Becker et Hervé Bromberger.
Rencontre avec Claude Chabrol
Désireuse de tourner avec Claude Chabrol, qui a connu un large succès avec son premier film,« Le Beau Serge » en 1958, elle demande à Gérard Blain de le lui présenter. Chabrol lui donne un petit rôle dans« Les Cousins » en 1959 et ils entament une relation amoureuse peu après le tournage.
L’année suivante, Stéphane Audran obtient un rôle plus important dans « Les Bonnes Femmes » également réalisé par Chabrol mais mal accueilli par le public. Elle y interprète aux côtés de Bernadette Lafont une vendeuse qui occupe ses nuits à chanter dans un cabaret. Mécontente de sa vie, elle aspire à un avenir meilleur mais ne parvient pas à changer de situation. France Roche note « la douceur lasse de Stéphane Audran » dans un article qu’elle signe sur le film pour France-Soir.
Chabrol et Audran se marient en 1964 et les années 1960 marquent le début d’une longue collaboration, bien que le jeu de Stéphane Audran ne soit pas acclamé par la critique dans un premier temps. Le producteur de « Landru » sorti en 1963, entre d’ailleurs en conflit avec Chabrol à cause de la prestation d’Audran dans le rôle de la dernière maîtresse du personnage principal. L’échec commercial de plusieurs de ses films de l’époque place Chabrol dans une position financière difficile, aggravée par son divorce d’avec Agnès Goute, sa première épouse, qui finançait une bonne part de ses films8.
Il faut attendre « Les Biches » en 1968 pour que le talent d’actrice de Stéphane Audran soit largement reconnu et pour que Chabrol renoue avec le succès de ses premiers films. Dans « Les Biches », qui réunit d’ailleurs Audran et son ancien mari Jean-Louis Trintignant, l’actrice brille par son interprétation d’une bourgeoise belle mais froide, égoïste et possessive. Le jeu d’Audran est alors très éloigné de celui qu’elle présente dans« Les Bonnes Femmes », elle a délaissé la spontanéité caractéristique des actrices de la Nouvelle Vague pour la froideur et le détachement. Le succès du film auprès de la critique encourage Chabrol a réaliser d’autres films avec des rôles similaires, parfaitement adaptés au jeu de son épouse. Plus tard, il dit d’elle qu’« elle a eu de la veine, à l’époque pompidolienne, de correspondre assez bien à ce que je voulais montrer de la classe dominante. [...] Elle en représente une idéalisation ».
À cinq reprises, Chabrol lui fait jouer un personnage portant le même prénom : Hélène, bien que dans chaque film la personnalité du personnage diffère d’une manière ou d’une autre.
Ces films ayant de nombreux points communs et s’appuyant tous sur le personnage joué par Stéphane Audran, ils sont souvent réunis dans ce qui est appelé le « cycle Hélène » ou le « cycle pompidolien. » Ces films sont « La Femme infidèle » (1969), « Le Boucher » (1970), « La Rupture » (1970) et « Juste avant la nuit » (1971).
Juste avant la nuit
Ils ont en commun une femme intelligente, Hélène, douée d’un tempérament calme, qui se sacrifie pour sauver l’ordre bourgeois dans lequel elle vit. Ces films marquent un tournant dans la définition des personnages féminins chez Chabrol. Auparavant, Chabrol les cantonnait à des rôles de fautives, héritières du péché originel. Ensuite, ses personnages deviennent plus justes et montrent de la solidité et de l’indépendance. Ils correspondent davantage à une image de femme contemporaine. Ainsi, l’institutrice jouée par Audran dans « Le Boucher » est une femme calme et digne malgré son angoisse. Elle refuse les avances du boucher joué par Jean Yanne non pas par frigidité mais tout simplement parce qu’elle n’est pas attirée par lui.
Stéphane Audran a déclaré à plusieurs reprises qu’elle devait sa carrière à sa rencontre avec Chabrol. De leur côté, les critiques ont souvent pensé que le réalisateur avait été énormément inspiré par l’actrice, ce qu’il a minimisé dans son autobiographie Par lui-même et par les siens. Il indique qu’elle est à l’origine du film « Le Boucher », puisqu’elle a incité son mari à la faire tourner avec Jean Yanne, mais qu’il s’agit là de l’influence la plus directe qu’elle ait eue sur son œuvre.
Années 1970
« Les Biches, » « La Femme infidèle » ou encore « Le Boucher » assoient son image d’actrice froide, élégante et sophistiquée, qui est exploitée dans de nombreux films des années 1970, notamment « Le Charme discret de la bourgeoisie » de Luis Buñuel, chronique mondaine teintée d’humour noir et pince-sans-rire.
Claude Chabrol salue ce film qui fait selon lui la synthèse de ses propres films dans lesquels joue Stéphane Audran. « Le Charme discret » de la bourgeoisie lui permet de remporter le BAFTA de la meilleure actrice en 1973. Elle est la seule actrice française avec Marion Cotillard et Emmanuelle Riva à avoir remporté cette récompense depuis que le BAFTA de la meilleure actrice et celui de la meilleure actrice étrangère ont été réunis en un seul.
Au cours des années 1970, Stéphane Audran est très sollicitée, même si elle privilégie Chabrol. Les autres réalisateurs la cantonnent généralement à des rôles secondaires et n’exploitent pas totalement son jeu d’actrice. Elle tourne par exemple sous la direction de Claude Sautet dans « Vincent, François, Paul... et les autres »,
de Philippe Labro dans « Sans mobile apparent, » et de Michel Audiard
dans « Comment réussir quand on est con et pleurnichard, » film qui marque ses débuts dans la comédie.
L’actrice tente aussi une carrière internationale. Elle tourne avec des réalisateurs américains, comme Orson Welles, dans « The Other Side of the Wind » (inachevé), Anatole Litvak pour l’adaptation du roman de Sébastien Japrisot, « La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil »,
Peter Collinson dans « Dix petits nègres »,
et Samuel Fuller dans « Au-delà de la gloire » qui lui permet d’élargir son répertoire avec un film de guerre.
Néanmoins, Stéphane Audran n’est jamais parvenue à devenir populaire aux États-Unis, le public américain trouvant son jeu trop froid. Elle n’obtient que des rôles secondaires, excepté dans « The Black Bird » de David Giler (1975), qui est une suite du « Faucon maltais » (1941). Cependant, ce film est un échec commercial.
En 1978, « Violette Nozière » de Chabrol marque une étape importante dans la carrière de l’actrice et du réalisateur. C’est la fin du cycle Audran, le premier rôle étant tenu par Isabelle Huppert, nouvelle égérie de Chabrol. Stéphane Audran joue symboliquement le rôle de la mère de Violette, dont la position sociale est très éloignée de celle des bourgeoises qu’elle est habituée à jouer. L’actrice était d’ailleurs réticente pour accepter le rôle, sentant qu’il ne lui allait pas.
Finalement, sa prestation a été acclamée et lui a notamment permis d’obtenir le premier rôle dans « Le Festin de Babette » une dizaine d’années plus tard.
Stéphane Audran a témoigné à plusieurs reprises de son admiration pour le jeu d’Isabelle Huppert, reconnaissant qu’elle n’aurait pas été capable de jouer les mêmes personnages qu’elle.
Années 1980
En 1980, Stéphane Audran et Claude Chabrol divorcent. La carrière de l’actrice décline peu à peu, bien qu’elle continue à jouer avec le réalisateur jusqu’au début des années 19903. Ainsi, elle retrouve Chabrol en 1982 dans « Le Sang des autres »,
en 1985 dans « Poulet au vinaigre »
puis dans « Jours tranquilles à Clichy » en 1990
et « Betty » en 1992
. Les rôles que Chabrol propose à Audran sont cependant assez anecdotiques. À partir des années 1980, elle obtient des seconds rôles dans plusieurs comédies françaises, comme « Les Saisons du plaisir » de Jean-Pierre Mocky,
« Arlette » de Claude Zidi
et « La Fille de Monaco » d’Anne Fontaine, jouant le plus souvent des bourgeoises décalées.
Elle joue aussi dans des films plus graves, comme « Coup de torchon » de Bertrand Tavernier
et « Mortelle randonnée » de Claude Miller, dans lesquels elle interprète des femmes méchantes et hystériques.
À partir des années 1980, Stéphane Audran apparaît régulièrement à la télévision, autant dans des téléfilms que des feuilletons. Elle est par exemple au générique de la série américaine « L’Amour en héritage » en 1984.
En 1987, le Danois Gabriel Axel lui offre l’un de ses plus grands rôles dans « Le Festin de Babette », film opposant l’austérité de la société danoise du XIXe siècle à la fantaisie parisienne. Axel avait initialement fait une liste de cinquante actrices pour le rôle de Babette, parmi lesquelles Stéphane Audran et Catherine Deneuve. Il choisit finalement Audran, lui trouvant une manière très parisienne de faire la moindre chose, comme entrer dans une pièce. Il avait initialement remarqué l’actrice dans « Violette Nozière. »
Au cours des années 1980, alors qu’elle est divorcée et que sa carrière s’essouffle, Stéphane Audran souffre de troubles psychosomatiques tels qu’une fatigue chronique, des évanouissements et des pertes de mémoire. Elle s’intéresse alors à divers modes de guérison, notamment la médecine chinoise. En 2009, elle publie Une autre façon de vivre, un livre dans lequel elle compile le résultat de ses recherches sur la médecine, la cuisine et la culture en général et ses alternatives.
VIE PRIVEE
Stéphane Audran a épousé en premières noces l’acteur Jean-Louis Trintignant en 19545. Leur mariage n’a duré que quelques années puisqu’il est tombé amoureux de Brigitte Bardot en 1956 sur le tournage de « Et Dieu... créa la femme. » Audran et Trintignant se sont toutefois retrouvés à trois reprises au cinéma, en 1968 dans « Les Biches », en 1971 dans « Sans mobile apparent, » et en 1982 dans « Boulevard des assassins ».
Stéphane Audran a ensuite vécu en concubinage avec le réalisateur Claude Chabrol, à partir de 19593. Chabrol était alors marié à Agnès Goute. Audran et Chabrol ont eu un fils, Thomas Chabrol, en 1963, puis se sont mariés l’année suivante, juste après que Chabrol a divorcé de sa première épouse. Audran et Chabrol ont divorcé en 1980, alors que le réalisateur avait entamé une relation avec sa scripte Aurore Pajot.
Stéphane Audran était amie avec Bernadette Lafont, autre actrice fétiche de Chabrol. Elle a d’ailleurs permis à la fille de cette dernière, Pauline Lafont, d’obtenir un rôle dans« Poulet au vinaigre ». Elle est également amie avec Karl Lagerfeld qui a souvent dessiné ses costumes, notamment pour « Le Charme discret de la bourgeoisie ».
Signataire du manifeste des 343, elle déclare en 2009 qu’elle ne pourrait plus le refaire car « c’est terrible de se faire avorter ». En effet, elle s’est intéressée de très près aux médecines et philosophies orientales à partir des années 1980, et cela a changé sa perception de la vie. Elle ajoute qu’elle n’est pas devenue totalement hostile à l’avortement, et souhaiterait notamment un meilleur accompagnement des femmes souhaitant se faire avorter.
Tout comme Claude Chabrol, Stéphane Audran a un intérêt particulier pour la gastronomie. Par exemple, lors du tournage du « Charme discret de la bourgeoisie » de Buñuel, elle avait l’habitude d’apporter des plats à l’équipe du film. En outre, la gastronomie est un thème qu’elle a largement abordé au cinéma, notamment dans « Le Festin de Babette », mais aussi dans son livre Une autre façon de vivre (2009).
JEU D’ACTRICE
Dans ses performances les plus acclamées, Stéphane Audran joue surtout des femmes élégantes, distantes et réservées, mais aussi souvent pleines de compassion. Ces femmes se retrouvent généralement impliquées dans une affaire de meurtre. Dans ces rôles, Stéphane Audran a été aidée par sa beauté particulière : yeux clairs, pommettes hautes, grain de beauté sur la joue, silhouette élancée. Bien que ses personnages récurrents de femmes élégantes et détachées évoquent Greta Garbo et Marlene Dietrich, elle se distingue d’elles parce que les films dans lesquels elle joue un rôle clé ne sont pas construits pour être un véhicule à son talent. Sa prestation, bien que centrale, est subordonnée à la conception globale du film10.
Claude Chabrol a parfaitement su exploiter le jeu de Stéphane Audran dans les films du « cycle Hélène », notamment dans « La Femme infidèle », « Le Boucher » et « La Rupture, » puis plus tard dans « Violette Nozière ».
Dans « La Femme infidèle », le jeu de l’actrice est marqué par la subtilité et la sobriété, le conflit émotionnel entre Stéphane Audran et Michel Bouquet est dans le sous-texte et ne ressort pas dans le dialogue, il passe par la nuance et la délicatesse du jeu d’acteur. Aucune scène d’adultère n’est montrée avant que le mari n’apprenne la vérité grâce à un détective privé. Seule l’attitude légère et séductrice de la femme dans son univers quotidien suggère son infidélité aux yeux du mari comme à ceux du spectateur.
De même, dans « Le Boucher », la prestation d’Audran s’intègre parfaitement au tissu du film et il est difficile de noter la limite entre le jeu de l’actrice et la direction de Chabrol. Dans « La Rupture, » Stéphane Audran montre un jeu généreux et innocent qui devient poignant au fil du film. « Violette Nozière » est différent de ses autres films tournés par Chabrol puisqu’elle incarne une femme de classe nettement inférieure par rapport à ses rôles habituels. Néanmoins, son interprétation d’une femme un peu négligée et victime de sa propre fille a été aussi remarquable aux yeux des critiques que la prestation d’Isabelle Huppert dans le rôle principal.
Chez Chabrol, le passage de la Nouvelle Vague au « cycle Hélène » correspond à l’apparition de l’influence d’Alfred Hitchcock dans son œuvre, lorsqu’il commence à s’intéresser à la bourgeoisie française. Stéphane Audran peut être considérée comme l’équivalent chez Chabrol des « blondes hitchcockiennes ». On retrouve d’ailleurs chez elle la sophistication de Grace Kelly, la neurasthénie de Tippi Hedren et la démarche presque fantomatique de Kim Novak dans « Sueurs froides ». Plusieurs de ses personnages font également écho à ces actrices. Ainsi dans « Le Boucher » et « La Femme infidèle, » elle combine la sensualité agile de Kelly avec la rétractation glacée de Hedren. Dans le premier, elle incarne une célibataire traumatisée, dans le second une femme mariée infidèle.
Dans ses premiers films dirigés par Chabrol, Stéphane Audran a toutefois joué des rôles différents. Cantonnée à des personnages secondaires, elle a incarné des rôles plus légers et populaires, comme une petite vendeuse aspirant à une carrière sur scène dans « Les Bonnes Femmes » (1960) ou une secrétaire jouant un double jeu dans « Le Scandale » (1967). Son personnage dans « L’Œil du Malin » (1962) se rapproche toutefois de ses rôles ultérieurs : elle y joue une épouse bourgeoise prise dans un triangle amoureux. C’est d’ailleurs la première fois que Chabrol lui fait jouer un personnage portant le nom d’Hélène.« La Rupture » montre parfaitement le changement qui s’est opéré dans le jeu de l’actrice après « Les Biches ». Alors qu’elle doit jouer une serveuse et ancienne strip-teaseuse, elle ne retourne pas au jeu léger qu’elle avait employé dans ses films prédédents.
En dehors de Chabrol, peu de réalisateurs ont réussi à exploiter pleinement le jeu de Stéphane Audran. Luis Buñuel fait exception, avec« Le Charme discret de la bourgeoisie », dans lequel l’actrice campe l’archétype de la maîtresse de maison bourgeoise qui reste imperturbable quel que soit le cours des événements. Gabriel Axel et son« Festin de Babett »e a lui aussi su tirer profit de son jeu d’actrice. Ce film représente d’ailleurs un défi pour Stéphane Audran, car elle y joue un personnage éloigné de ses rôles habituels. Le film réemploie toutefois de grandes caractéristiques du jeu de l’actrice, comme la sincérité et discrétion, pour rendre une atmosphère lumineuse et sensuelle.
Le jeu tout en subtilité de Stéphane Audran l’a sans doute pénalisée dans sa carrière internationale, notamment aux États-Unis. En effet, cette subtilité toute française ressort mal lorsqu’elle joue en anglais, sa diction étant trop phonétique et rigide.