LES DEBUTS DU CINEMA
Dès 1797, le Liégeois Étienne-Gaspard Robert, dit Étienne Robertson, un abbé à la fois scientifique et artiste, met au point une sorte de lanterne magique appelée « Fantascope ». Avec cet appareil permettant aux ombres projetées de changer de forme grâce à des embryons de mouvement[réf. nécessaire], il présente des Fantasmagories qui font sensation.
En 1832, le physicien et mathématicien bruxellois Joseph Plateau, professeur à l’Université de Gand et spécialiste reconnu de la persistance rétinienne, conçoit le Phénakistiscope, prédécesseur du Zootrope. Le « joujou scientifique » de Plateau permet la synthèse d’un mouvement bref à partir d’une série de dessins disposés sur un disque percé de fentes. Certains de ces disques ont été décorés par le peintre belge Jean-Baptiste Madou.
La première représentation publique de cinéma en Belgique a lieu le 1er mars 1896 à la Galerie du Roi, à Bruxelles, soit deux mois à peine après la séance historique des Frères Lumière à Paris le 28 décembre 1895, et avec un programme très semblable. De fait, une projection de « La Sortie des usines Lumière » avait déjà eu lieu en avant-première, dans un cercle restreint mais en présence de nombreuses personnalités, le 10 novembre 1895 à l’École supérieure de l’industrie de Bruxelles.
Galerie du Roi
En 1896 ou 1897 selon les sources, Alexandre Promio, employé des frères Lumière, tourne environ cinq films d’une minute à Bruxelles, dont un sur le parvis de la cathédrale Sainte-Gudule qui était à l’époque très animé. Il tourne aussi un film à Anvers avec un pré-travelling : « Anvers : arrivée en bateau. ». Le Théâtre de l’Alcazar de Bruxelles intègre des images filmées par les équipes des frères Lumière à travers le monde dans le spectacle de revue théâtrale Bruxelles kermesse. En 1897, l’Office central est le nom de la première salle permanente bruxelloise. On y projette les premiers documentaires belges aux sujets déjà typiques de ce que l’on appellera plus tard l’école documentaire belge, le zoo d’Anvers, des scènes de la vie urbaine, de la vie des cours princières et de l’armée, parfois reconstituées avec des acteurs. Toujours en 1897, le Zoographe inaugure ses séances par des films sur le Congo belge.
En 1897, De Kempeneer, un ancien négociant en boissons, tourne son premier reportage, « Le roi Léopold II à l’Exposition de Tervueren » (Koning Leopold II op de Tentoonstelling in Tervuren). Conscient de l’intérêt que les spectateurs belges commencent à porter à ces images plus proches de leur réalité, il lance un programme d’actualités cinématographiques, La Semaine animée, qui sera diffusé chaque vendredi de 1912 à 1914. Les enjeux moraux et pédagogiques du cinéma — notamment des films documentaires — lui tiennent particulièrement à cœur. En 1913 il fonde la Ligue du Cinéma Moral et en 1914, il ouvre le Cinéma des Familles, une petite salle consacrée aux documentaires, dans laquelle il organise des matinées scolaires. Poursuivant la mission dont il se sent investi, il crée pendant la guerre la Compagnie Belge des Films Instructifs.
Ses productions sont abondantes et variées. Parmi les sujets traités, on remarque une fête des fleurs, un concours hippique, une foire aux bestiaux, des visites officielles ou des funérailles de personnalités, ou encore des scènes de colonies de vacances. Une série de films patriotiques est également produite, par exemple« La Belgique martyre » (Het Gemartelde België) de Charles Tutelier en 1919. Nombre de ces pellicules ont malheureusement été perdues.
De son côté, le Français Alfred Machin, recruté par la puissante firme Charles Pathé, tourne d’abord des films animaliers en Afrique puis séjourne aux Pays-Bas pour y développer une industrie cinématographique locale, avant d’être envoyé en Belgique en 1912 comme directeur artistique de l’une des filiales de Pathé, Belge Cinéma Film.
Des films de fiction commencent à être produits et « L’histoire de Minna Claessens » (De legende van Minna Claessens) (1912) d’Alfred Machin est considéré comme le premier long métrage du cinéma belge. La pellicule de ce mélodrame ayant été perdue, il n’en subsiste que le scénario, conservé à la Bibliothèque nationale de France.
De 1901 à 1905, la Compagnie des machines parlantes loue des écouteurs à ceux qui veulent écouter des enregistrements sonores musicaux et chantés gravés sur cylindres. En même temps, Louis Van Goitsenhoven y montre des actualités commanditées par le Parti ouvrier belge. Et c’est au même moment que Léon Anciau et Willem Wintgens, deux ingénieurs des aciéries d’Angleur, et le musicien Léopold Hansenne déposent un brevet de cinéma parlant sous le nom de « Cinématophone A H W » dont ils donnent des démonstrations. L’engouement pour le cinéma donne naissance à une nouvelle profession, les cinéastes hommes à tout faire, producteurs, réalisateurs, opérateurs de prises de vues et de projection. Parmi ceux-ci L. Dubgick filme et projette des actualités dont celles des funérailles du roi Léopold II. C’est la naissance de l’école belge du documentaire et aussi de l’école de l’animation avec le peintre Blandin et le professeur Daveloose qui réalisent des dessins animés.
Toujours en 1912, la firme Pathé investit le domaine du Karreveld dans la banlieue bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean et Machin supervise alors son réaménagement qui comprend toutes les commodités pour les artistes et les techniciens. C’est là qu’il tourne les scènes d’intérieur de ses films.
Sommet de la carrière d’Alfred Machin, « Maudite soit la guerre » (Vervloekt zij den oorlog), tourné avec une nombreuse figuration grâce au concours de l’armée belge. C’est une production spectaculaire qui, pour l’ampleur de la figuration et les effets guerriers, anticipe sur les super-productions du xxe siècle. Prémonitoire, ce film révèle au public la réalité prochaine de la guerre aérienne, mais pour mieux affirmer un parti-pris pacifiste, et ce peu avant qu’éclate la Première Guerre mondiale : en effet, la première du film a lieu en juin 1914.
PREMIERE GUERRE MONDIALE
Avec la première guerre mondiale, le cinéma belge est brutalement interrompu après une dernière actualité sur l’entrée des troupes allemandes à Bruxelles. Toutefois, l’État-major de l’armée belge fonde un service cinématographique principalement destiné à la propagande par la diffusion d’images de l’armée au combat pendant les quatre ans de guerre. On y voit l’intendance et les services médicaux en action avec l’ambulance de « La Panne du docteur Depage » et l’activité de la reine des Belges et de la Croix-Rouge de Belgique.
Pendant le premier conflit mondial, le cinéma belge cède la place à un cinéma d’occupation importé d’Allemagne et souvent en langue allemande. Toutefois, des cinéastes belges et alliés exécutent quelques bandes consacrées à la famille royale réfugiée non loin du front : réception par le roi Albert 1er de chefs d’État et de militaires alliés, la reine Élisabeth à l’hôpital de l’Océan. D’autre part, la création du service cinématographique de l’armée entraîne des prises de vues montrant les soldats sur le front ainsi que des prises de vues aériennes au-dessus du front ennemi destinées aux renseignements militaires.
Avec la paix, les activités civiles reprennent, mais la politique de libre échange de la Belgique, qui laisse entrer les films étrangers produits par d’importantes compagnies françaises et américaines, va noyer les productions nationales d’un cinéma belge qui va se consacrer à des réalisations documentaires artisanales. Quelques sursauts donnent lieu à des longs métrages inspirés par la guerre, comme le film sur la résistance audacieuse du cardinal Désiré-Joseph Mercier aux occupants allemands et « La Belgique martyre » de Charles Tutelier. Cependant, le jeune Léon Dassonville, revenu de la guerre où il s’était fait le spécialiste des prises de vues aériennes, fonde un laboratoire qui, avec ceux de Meuter et de Labor-Ciné de la famille de Kempeneer, tous installés à Bruxelles, contribuera à l’histoire du cinéma belge durant tout le vingtième siècle (avec les labos L.J Martin, A. Lheureux et Synchrofilm nés plus tard).
L’ENTRE DEUX GUERRES
L’école belge du documentaire apparaît en marge des fictions ou des reportages d’actualités, on voit apparaître après la Grande Guerre de petits films à caractère ethnologique, plutôt destinés aux spécialistes qu’au grand public. En effet, grâce au cinéma, on peut désormais enregistrer les traces des arts et traditions populaires, et les méticuleux collectionneurs de documents et d’objets, tel Joseph-Maurice Remouchamps, trouvent là un allié de choix. André Simon tourne ainsi des scènes telles que « Le Tressage de la paille dans la vallée du Geer » ,
« Exploitation d’une carrière »
La démarche que certains entreprennent en Wallonie est aussi celle du marquis Robert de Wavrin qui explore inlassablement le continent sud-américain, d’où, à la manière d’un Robert Flaherty, il rapporte une série de témoignages sur des cultures aujourd’hui disparues. Le plus connu de ses courts métrages est « Au cœur de l’Amérique du Sud » (1924). Quant à Ernest Genval, c’est au Congo belge, où il avait déjà séjourné, qu’il part tourner une série de petits films pour le compte d’entreprises coloniales. Son long documentaire « Le Congo qui s’éveille » (1927) serait ainsi « un hymne aux réalisations civilisatrices, technico-industrielles et médicales de la Belgique dans la colonie ».
De leur côté les scientifiques, et notamment les médecins, dans la lignée du physiologiste Étienne-Jules Marey, entrevoient d’autres applications du cinéma. Antoine Castille filme nombre de cas pathologiques et, grâce à lui, le neuropsychiatre Ovide Decroly, formé à l’Université de Gand, met la pellicule au service de ses études sur la psychologie génétique : le pédagogue peut ainsi observer le comportement des enfants au fil des ans. Ces films datent de 1923 ou de 1932 avec le professeur Léon Laruelle (1876-1960) (par exemple Hémorragie cérébrale ou Procédés de sensibilisation du système nerveux ou Encéphalo-myélite subaiguë). Par ailleurs, Castille se lance dans une vaste entreprise d’ethnologie intérieure en filmant les fêtes de Belgique. Aussi, il enregistre les gestes du travail traditionnel. Ses films sont des documents anthropologiques sur une époque révolue.
À la fin des années 1920, juste avant l’avènement du parlant, deux cinéastes belges d’envergure se font connaître : Charles Dekeukeleire pour ses films d’avant-garde et Henri Storck pour ses essais documentaires sur Ostende.
Dekeukeleire se passionne très tôt pour le cinéma et ses maîtres ont pour noms Germaine Dulac, Jean Epstein, Marcel L’Herbier, Louis Delluc, mais aussi Dziga Vertov. Très construit, son court métrage « Combat de boxe » (1927), réalisé dans des conditions très précaires mais avec de vrais boxeurs, utilise avec virtuosité toutes les ressources de ce nouveau langage.
Cinéphile averti, il puise aussi son inspiration du côté des plasticiens tels que Man Ray, Fernand Léger ou Marcel Duchamp. Il poursuit ses recherches formelles avec « Impatience et Histoire de détective » (1929), puis tourne nombre de documentaires jusque dans les années 1950.
Si le nom de Dekeukeleire semble moins familier aujourd’hui, en revanche celui d’Henri Storck reste associé durablement à l’école documentaire belge, un peu à la manière d’un John Grierson dans le cas du mouvement britannique. L’un de ses premiers courts métrages, « Images d’Ostende » (1929-1930), en hommage à sa ville natale, peut être perçu comme « un choc poétique et cinétique, sans fiction ni son, qui dégage le cinéma de son obligation narrative pour le rendre au monde des sensations que lui seul peut porter. ».
Mais ce sont surtout « Misère au Borinage » (1933), film muet, compassionnel et engagé, tourné avec Joris Ivens,
Parallèlement, deux cinéastes d’un seul film réalisent des œuvres d’avant-garde, souvent rattachées au surréalisme. En 1929, le comte Henri d’Ursel, né à Bruxelles, tourne à Paris, un peu à la manière de Louis Feuillade, « La Perle », d’après le scénario du poète Georges Hugnet, une histoire à multiples rebondissements non dépourvue d’érotisme.
Un peu plus tard, Ernst Moerman, poète et ami d’Éluard, également fasciné par les films à épisodes de Feuillade, propose une vision onirique et subversive du redoutable héros de Pierre Souvestre et Marcel Allain, avec « Monsieur Fantômas », un moyen métrage muet dont la première a lieu au palais des beaux-arts de Bruxelles le 12 octobre 1937, alors qu’on y projette également « Un chien andalou. »
Dans l’intervalle pourtant le son a fait son apparition et ses techniques évoluent rapidement. Le premier long métrage belge utilisant le son optique, « Le Plus Joli Rêve » (1931), est l’œuvre du Bruxellois Gaston Schoukens, déjà connu pour « Monsieur mon chauffeur » en 1926 et qui sera pendant près de trente ans la figure de proue du cinéma populaire. De fait il aborde un peu tous les genres, le documentaire (« Le Football belge », 1922), le film d’art (« Nos peintres », 1926), le mélodrame (« Tu ne sauras jamais », 1927), le drame patriotique (« Les Croix de l’Yser », 1938) ou les comédies débridées, telles « En avant la musique » (1935) ou « Bossemans et Coppenolle » (1938).
Quant au Flamand Jan Vanderheyden, sa notoriété repose principalement sur son premier film, le mélodrame qu’il réalise, assisté par son acteur Willem Benoy et par sa femme Edith Kiel , (« Filasse De Witte », 1934), l’adaptation d’un roman picaresque d’Ernest Claes, une histoire que l’on peut rapprocher de celle de « Poil de carotte. »
La Cinémathèque royale de Belgique est fondée pendant cette période faste, en 1938, notamment grâce à André Thirifays et Henri Storck.
En 1947, un Festival mondial du Film et des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles remporte un succès inattendu avec un arrivage de vedettes dont des stars d’Hollywood. Mais le gouvernement ne veut ni aider financièrement, ni promouvoir un festival du cinéma en Belgique. Aussi, les organisateurs transportent-ils l’édition suivante à Knokke, station balnéaire huppée où ils obtiennent une aide. Ce festival deviendra le Festival international du cinéma expérimental de Knokke-le-Zoute.
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Pendant la Seconde Guerre mondiale, André Cauvin, qui avait débuté dans la vie comme avocat, devient l’avocat de la Belgique en guerre et de sa colonie avec le « Congo Belge dans la guerre » qui lui vaut d’être nominé aux Oscars en 1944.
La fresque « Symphonie paysanne » (Boerensymfonie) tournée de 1942 à 1944 qui caractérisent ce regard si particulier sur le monde. Un regard généreux, mais peut-être pas toujours totalement innocent, si l’on en croit quelques témoignages et des preuves écrites sur les positions de Storck durant l’Occupation. Ce point reste sans doute sujet à polémique, alors que le talent du cinéaste semble rarement contesté.
LES ANNEES 50
La tradition documentaire se poursuit pendant cette décennie, mais une nouvelle génération de cinéastes apparaît.
À cette école documentaire qui marque toute l’histoire du cinéma belge, on peut associer d’autres noms, par exemple ceux d’André Cauvin et de Gérard De Boe. Tous deux tournent de nombreux films au Congo, plus sensibles et plus nuancés que les premiers courts métrages coloniaux, et quelques-uns de leurs titres ont fait date, tels « L’Équateur aux cent visages » (1948) de Cauvin et « Étonnante Afrique » ou « Katanga pays du cuivre » que De Boe tourna en 1956.
Avec « Rubens », réalisé avec Storck en 1948, l’historien de la peinture Paul Haesaerts renouvelle le film d’art en mettant au service de l’étude comparative les mouvements de caméra, les animations et la fragmentation de l’écran, tout en conservant le foisonnement et la sensualité du peintre. Pendant les années 1950 il tourne une série de films pour la télévision.
Ethnologue érudit, Luc de Heusch tourne en 1951, sous un nom d’emprunt, dans une maison abandonnée d’Anderlecht, le seul film du mouvement CoBrA : le court métrage expérimental « Perséphone. »
Il part ensuite en mission scientifique au Congo d’où il rapporte deux œuvres, un petit film en couleurs, « Ruanda », tableaux d’une féodalité pastorale, et surtout « Fête chez les Hamba » (1955), un long métrage en noir et blanc qui a nécessité de sa part une véritable initiation au sein de cette tribu. Dès lors Luc de Heusch deviendra — comme Henri Storck et, dans une moindre mesure, Charles Dekeukeleire — un cinéaste documentariste ethnologue presque officiel. On évoque souvent à son sujet Flaherty, et surtout son contemporain Jean Rouch. Toujours au Congo belge, une équipe composée de nombreux opérateurs tourne en cinémascope les 60,000 mètres de pellicule 35 mm Eastmancolor du long métrage les « Seigneurs de la forêt » sous la direction d’Heinz Sielman, documentaire d’une haute tenue scientifique sur la faune, la flore et la population. Commençant sa carrière à Bruxelles en 1958, à l’occasion de l’exposition universelle de Bruxelles, le film sera distribué dans le monde entier par la Twentieth Century Fox qui prit en charge les vingt-deux versions en langues diverses ainsi que le montage de plusieurs documentaires extraits des réserves de pellicule et ciblés sur divers aspects du sujet principal.
Au Congo belge encore, après le précurseur d’avant-guerre Ernest Genval, avec son film le Congo qui s’éveille, vient l’épanouissement du cinéma proprement colonial avec des cinéastes comme André Cornil, Gérard de Boe. D’autre part, se développe la production mi-propagande mi-pédagogie des équipes de missionnaires de l’église catholique, qui met au service de la colonisation la toute-puissance qu’elle exerce, depuis la fin du dix-neuvième siècle, au Congo belge et au Ruanda-Urundi. Ce cinéma missionnaire comptait des dizaines de cinéastes dont Roger de Vloo, Albert Van Haelst, Eric Weymeersch et Alexandre Van den Heuvel
En Belgique même, la production la plus marquante de l’après-guerre est un long métrage de fiction, « De meeuwen sterven in de Haven » (Les mouettes meurent au port, 1955), coréalisé par trois jeunes cinéastes d’Anvers, Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert.
Pour la première fois dans l’histoire du cinéma belge en langue flamande, des auteurs font preuve d’une recherche formelle et affichent leur appartenance à un courant international. L’utilisation du noir et blanc, les décors urbains, les errances sans espoir d’un héros tourmenté et les tensions d’un canevas policier peuvent sans doute se rattacher à une esthétique expressionniste, mais on évoque aussi à son propos quelques films européens plus proches dans le temps (Le Troisième Homme, Jeux interdits) ou américains (Sur les quais).
À la fin des années 1950, Paul Meyer réalise « Klinkaart » et « Déjà s’envole la fleur maigre », des fictions sociales, aux limites du documentaire, influencées par le néoréalisme.
Lucien Deroisy et Émile Degelin réalisent leur premier long métrage de fiction pendant cette période, le premier avec une adaptation des Gommes, le roman de Robbe-Grillet (1959) et le second avec « Si le vent te fait peur » (1960), un sujet audacieux pour l’époque (la tentation de l’inceste entre un frère et une sœur), pas si éloigné de la Nouvelle Vague française, un film auquel le Festival de Cannes décerne une mention d’honneur. Comme dans d’autres pays, une page du cinéma national est sur le point de se tourner.
LES ANNEES 60 et 70
En février 1961, l’université libre de Bruxelles organise une « Conférence européenne du cinéma et de la télévision ». Les sujets en sont les Registres publics du film, les divers types de financements, les régimes fiscaux et les rapports avec la télévision, tous domaines concernés par l’intégration européenne ainsi que l’harmonisation des conditions de travail des techniciens. La libre circulations physique des films « culturels » (récréatifs, publicitaires, industriels, didactiques, artistiques, sociaux, etc.) est réaffirmée comme étant des œuvres propres à contribuer à une meilleure prise de conscience européenne, mais aussi en rappelant une convention de l’Unesco sur la libre circulation des biens culturels (souvent ignorée par les administrations détentrices des droits de ces productions)18.
L’augmentation quantitative de la production accompagnée par des démarches politiques en faveur d’une prise en charge du cinéma belge par l’État ont amené la création, en 1960, d’une « Union nationale des producteurs belges de films ». Il s’agit de la réunion de diverses associations sous la houlette d’Electrobel, société qui, par ses prises d’intérêts très diversifiées, s’est trouvé posséder dans son portefeuille des sociétés de distribution de films. De là à financer, au moins partiellement, des productions, il n’y avait qu’un pas pour Electrobel. Mais ce sont des films français qui en avaient bénéficié avant que des cinéastes belges interviennent auprès de cette société pour plaider leur cause. En même temps, s’éveillait l’intérêt de l’État belge pour la production belge de films. Des plaideurs y travaillaient comme le ministre Pierre Vermeylen, qui avait déjà participé à la fondation de la Cinémathèque royale de Belgique. Et des subventions à la production de films belges apparurent dans les années 196020.
À l’imitation des systèmes français et italiens des avances sur recettes sont créées tant du côté néerlandophone, en (1965), que du côté francophone, en (1967). Grâce à ces financements publics, les films ont de meilleures chances de voir le jour et une émulation apparaît. Ce n’était pas l’avis du cinéaste Edmond Bernhard qui a déclaré : Il y avait là une dame qui exigeait à tout prix de moi un scénario. Je tourne toujours sans scénario... Ils me mettaient plus ou moins au pinacle à cette époque et ils ne voulaient pas me donner du fric. Ils voulaient le donner à une « structure », qui serait moi sans être moi. Plusieurs cinéastes flamands de cette nouvelle génération, André Delvaux (« L’Homme au crâne rasé »), Roland Verhavert (« Pallieter »),
Hugo Claus (« Les Ennemis »)
et Harry Kümel (« Les Lèvres rouges »)
et « Malpertuis » se distinguent aux manifestations cinématographiques internationales.
Du côté francophone, Benoît Lamy réussit dans la comédie grand public (« Home sweet Home »). Mais c’est Chantal Akerman qui créera l’événement en 1975 avec l’hyperréaliste « Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, » sommet de son travail de synthèse entre l’énergie de Godard et le formalisme des cinéastes expérimentaux nord-américains.
En réaction à l’académisme tiède, des cinéastes moins conventionnels apparaissent. S’ils ne reçoivent pas ou peu d’aides publiques, leurs œuvres sont appréciées à l’étranger : Marcel Mariën, Edmond Bernhard, Roland Lethem, Noël Godin, Thierry Zéno, Jean-Marie Piquint, Jean-Marie Buchet, Boris Lehman, Picha, Jan Bucquoy, etc. Certains d’entre eux, comme Edmond Bernhard, Thierry Zeno ou Jean-Marie Piquint se taillent un palmarès dans les festivals du court métrage. Avec« La Cybernétique », 1964, J-M Piquint récolte le Primo Premio Assoluto au festival de Vicenza 1965 dans la catégorie scientifique, un premier prix au festival du film industriel de Rouen 1965 et d’autres distinctions pour un film qui, après un demi-siècle, est toujours utilisé par les tenants lyonnais de l’École de Palo Alto.
LES ANNEES 1980
Dans les années 1980, Marc Didden (« Brussels by Night »), Marion Hänsel (« Dust »), Jean-Jacques Andrien (« Le Grand Paysage d’Alexis Droeven » et « Australia »), Robbe De Hert (« Zware Jongens »), Patrick Van Antwerpen (« Un joli petit coin » et « Vivement ce soir ») et Chantal Akerman (« Toute une nuit » et « Golden Eighties ») sont les réalisateurs qui donnent un nouveau souffle au cinéma belge de fiction conventionnel. À la fin de cette décennie, « Le Maître de musique », une fiction en costumes d’époque de Gérard Corbiau, est nommé aux Oscars (pour le meilleur film en langue étrangère).
LA COMMUNAUTARISATION EN 1990
À la suite de la création de communautés culturelles distinctes pour les francophones et les néerlandophones, le cinéma, qui, jusque-là, dépendait d’une seule administration centrale pour l’attribution des aides à la production, fait l’objet d’une nouvelle réglementation en date du 19 janvier 1990 créant une coopération inter-communautaire précisant les clés de répartition pour l’attribution des avances sur recettes en fonction de la langue originale des scénarios, de l’origine des apports financiers privés belges et étrangers et de divers autres critères relatifs à la composition des équipes artistiques et techniques de production. L’aide automatique attribuée en fonction de la distribution publique est maintenue, mais gérée par des administrations linguistiques différentes selon la langue dans laquelle les dossiers sont introduits. La commission de sélection de l’aide automatique est maintenue, mais de nouveaux représentants des ministères concernés y sont nommés.
À partir des années 1990, lee cinéma belge prend un essor et se voit récompensé : en 1991 le premier long métrage de Jaco Van Dormael, « Toto le héros », séduit à la fois le public et la critique et fait l’objet de nombreuses distinctions internationales, dont la Caméra d’or à Cannes ;
« C’est arrivé près de chez vous » en 1992 avec Benoît Poelvoorde, remporte le Prix du public également à Cannes ;
en 1995,« Farinelli » de Gérard Corbiau obtient le Golden Globe du meilleur film étranger ;
« Antonia » (1995) de la Néerlandaise Marleen Gorris, est consacré meilleur film étranger aux Oscars ;
Pascal Duquenne, Natacha Régnier, Émilie Dequenne et Olivier Gourmet sont couronnés d’une Palme d’Or, du meilleur acteur ou de la meilleure actrice à Cannes, respectivement en 1996, 1998, 1999 et en 2002. Symbole ultime : les frères réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne y emportent deux fois la palme d’or en 1999 avec « Rosetta »
et 2005 avec« L’Enfant. »
Les premiers films « Calvaire » de Fabrice Duwelz et « Komma » de Martine Doyen, sont tour à tour sélectionnés à la Semaine de la Critique de Cannes en 2005 et 2006.
Relevons aussi Vincent Lannoo qui, avec « Strass » signe le premier film belge Dogme, mouvement lancé par le Danois Lars von Trier.
En 2006, pour surfer sur la vague de la bonne réputation des films belges, Luc Besson a produit « Dikkenek », un « faux Poelvoorde, sans le goût, l’humour, la folie, sans le talent » selon La Libre Belgique. De son côté la Communauté flamande encourage le cinéma académique (« Daens » de Stijn Coninx, « Villa des roses » de Frank Van Passel) ou les tentatives de rivaliser avec l’efficacité du divertissant cinéma américain (« La Mémoire du tueur » d’Erik Van Looy). Ces produits traversent avec difficulté la frontière linguistique.
LE CINEMA D’ANIMATION
Dès l’époque du cinéma muet, on voit apparaître de petits films de court métrage dus à des amateurs. Certains se professionnalisent, comme Charles Conrad ou Joseph Houssiaux, dans la production de films publicitaires. Dans les années 1930 une société dénommée "la Cinéscopie" produit des "films boucles" de pédagogie destiné à l’enseignement belge.
Le service cinématographique (S.C.A.B.) de l’armée belge produit, à cette époque, des films d’animation consacrés au maniement des armes. Ernest Genval, connu pour ses production consacrées au Congo belge, réalise un court métrage sonore de fiction distribué dans les salles "Plucky en Egypte" et des séquences introduites dans sujets de commande ministérielle. Norbert Benoit réalise des sujets de semi animation en papiers découpés.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, A. Fromentaux, Paul Nagant, Eddy Paepe et Jacques Eggermont produisent quelques courts métrages dont certains inspirés du style des dessins animés américain (interdits en Belgique).
En 1946, le retour sur les écrans de la production internationale enlève toute rentabilité à la production cinématographique belge, particulièrement à la production d’animation. Et pourtant Ray Goossens et Wilfried Bouchery, avec leur société "Animated Cartoons", présentent « Fantaisie Atomique à Bruxelles » en 1946 lors du gala du film d’animation. En même temps Edmont Philippart et son épouse la dessinatrice Paule Armel s’illustrent par des courts métrages en maquettes animées, puis par des sujets commandés par les télévisions belges.
Dans les années 1950, Eddy Ryssack transpose en plusieurs dessins animés la série "les Schtroumps". Avec Ray Goossens, le dessin animé belge fait son entrée dans la production internationale grâce au studio Belvision fondé par Raymond Leblanc, ce qui donne plusieurs courts et longs métrages, ces derniers découpés en épisodes, la plupart tirés des albums d’Hergé : « l« e Secret de La Licorne », « Le Trésor de Rackham le Rouge », « le Crabe aux pinces d’or »,« l’Étoile mystérieuse », « l’Affaire Tournesol ».
La technique se limite à reproduire celle de la bande dessinée en l’animant sous une forme encore basique si on la compare à la production américaine des studios Walt Disney. La tradition belge de la bande dessinée trouve ainsi, et tout naturellement, son prolongement au cinéma. Belvision aborde alors la coproduction internationale avec « Pinocchio dans l’Espace » en 1961. Réalisé sur une commande américaine, c’est une production d’un niveau technique et esthétique de qualité qui atteint à celle des U.S.A.
Plus, tard, en 1969, Belvision produit, en coproduction avec la France, la transposition de l’album d’Hergé « Tintin et le Temple du Soleil » d’un niveau de qualité qui égale les meilleures productions internationales.
En 1971, vient encore « Tintin et le Lac aux requins ». Cependant, la production de courts métrages ne cesse pas et des sujets de Goossens sont produits par Belvision avant que cet auteur s’en aille voler de ses propres ailes avec des productions publicitaires et des commandes de télévision. On doit encore citer Louis Van Maelder et Philippe Léonard et leur prolifique production de courts métrages.
Mais il faut citer Claude Misonne, connue d’abord comme femme de lettres, dont les films de poupées sont d’abord publicitaires, puis destinés aux salles sous la forme de courts métrages bénéficiant du système de primes du ministère des Affaires économiques. La société de Claude Misonne devient "Universal Video" et travaille pour les télévisions belges étrangères, et plus seulement dans les films de poupées.
Dans l’après guerre on doit citer quelques auteurs venus des arts plastiques et de la photographie :
Le caricaturiste Picha — s’essaie au burlesque et à la dérision, d’abord avec « Tarzoon, la honte de la jungle » (1975), puis avec « Le Chaînon manquant » (1980), une parodie de la théorie de l’évolution.
L’échec commercial du « Big Bang » (1987) est suivi d’un long silence cinématographique, jusqu’à la sortie en 2007 de son quatrième long métrage « Blanche-Neige, la suite ».
Peintre et dessinateur diplômé de l’Académie royale de Bruxelles, Jean Coignon, né à Bruxelles en 1927 est formé à Paris en 1947 dans l’équipe de Paul Grimault lors de la réalisation du premier grand dessin animé français« La Bergère et le Ramoneur ». Rentré à Bruxelles, il y réalise « Le Poirier de misère », un court-métrage d’après une vieille légende flamande dessiné dans un style inspiré de celui de Breughel. Suivront encore une trentaine de courts métrages parmi lesquels « La Pluie et le Beau Temps, » « Le Cadeau d’Oscar », « Demokratia ».
Primé dans plusieurs festivals dont Venise, Leipzig, Biarritz, il réalise, pour des raisons alimentaires, de nombreux spots pour des maisons de publicité bruxelloises. Mais Coignon, assisté de son épouse Line Théaudière, apporte aussi sa minutie artisanale à la confection de génériques et de schémas animés dans les films de réalisateurs de l’école documentaire belge, notamment dans Industrie et Société, Préhistoire du cinéma d’Émile Degelin et Construire pour Vivre et la Cybernétique de Jean-Marie Piquint.
Raoul Servais renouvelle de manière significative les thèmes et les techniques graphiques de l’animation. Né à Ostende, étant enfant il fréquente la boutique de masques, coquillages et curiosités du peintre James Ensor. Plus tard, après l’académie des beaux-arts de Gand, il est l’assistant du peintre surréaliste Magritte pour l’exécution des fresques du casino d’Ostende. Il est aussi l’assistant d’Henri Storck pour le documentaire « Le Trésor d’Ostende ». Il se lance alors dans le dessin animé, genre dans lequel il peut unir son talent pictural avec la pratique cinématographique qu’il avait commencé à acquérir, étant enfant, en tentant des essais avec la caméra d’amateur de ses parents. De suite, il révèle un talent novateur avec « Lumières du Port », « La Fausse Note » et « Chromophobia » qui est primé au Festival de Venise en 1966.
D’autres récompenses internationales ne tardent pas à suivre, par exemple la Palme d’or du court métrage à Cannes en 1979 pour « Harpya », un petit film dans lequel un homme est terrorisé par une créature mi-femme mi-oiseau et qui associe habilement prises de vues réelles et animations bien avant l’ère numérique.
Le réalisateur belge est d’ailleurs l’inventeur d’un procédé spécifique, la servaisgraphie. En 1994, son seul long métrage à ce jour, « Taxandria », fait un large usage des technologies numériques.
En 2008 c’est la sortie du premier long métrage d’animation belge en 3D réalisé par Ben Stassen, « Fly Me to the Moon ».
En 2009, le film d’animation « Panique au village » de Stéphane Aubier et Vincent Patar a reçu le Valois de la mise en scène à l’issue de la 2e édition de Festival du film francophone d’Angoulême, après une première mondiale en sélection officielle au Festival de Cannes (séance spéciale).
En 2014, deux films d’animation belges se distinguent par une nomination aux Oscars.« Ernest et Célestine » — coproduction franco-belge de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar — est nommé pour l’Oscar du meilleur film d’animation.
D’autre part, le court métrage d’animation « Mr Hublot », réalisé par Laurent Witz et Alexandre Espigares, est nommé dans la catégorie meilleur court métrage d’animation.
Sources : Wikipédia