Cinéma Néo Zélandais
Référence : Even
Historique
La Nouvelle-Zélande livrée à elle-même après son indépendance de la Grande-Bretagne en 1907, dut faire face aux Maoris bien décidés à compter autant que les colons. Tant et si bien qu’anglais et maori deviennent les deux langues officielles du pays, après plusieurs décennies de conflits. Si aujourd’hui la double culture s’est totalement amalgamée, les premiers films kiwis syncrétisent le contraire. Violence, folie, mal de vivre sont autant de thèmes principaux qui en émergent. Le cinéma néo-zélandais devient l’exutoire expérimental de tous les problèmes intérieurs qui gangrènent les deux îles. Au point que l’acteur-réalisateur Sam Neill intitule en 1995 ’Cinema of Unease’ son documentaire sur l’évolution du 7e art dans son pays, soit littéralement le Cinéma du malaise.
L’industrie cinématographique a débuté au cours des années 1920, mais ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’apparaît un authentique cinéma néo-zélandais Des films tels que "Sleeping Dogs"
et "Goodbye Pork Pie" connaissent un immense succès et lancèrent les carrières de Sam Neill, Geoff Murphy et Roger Donaldson.
La création de la New Zeland Film Commission en 1978 exprime la volonté politique de soutenir le cinéma national. Mais en 1983, les aides publiques sont retirées.
Les années 80
Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que la Nouvelle-Zélande exporte ses films à l’international. Et quels films ! En 1987, un certain Peter Jackson commence à faire parler de lui avec une succession de longs métrages particulièrement gore, à l’humour dérangeant et corrosif, qui deviendront instantanément cultes : "Bad Taste" ,
"Meet the Feebles"
Meet The Feebles - Trailer par ohmygore
et surtout ’Braindead’ lui permettent de se faire une petite réputation de réalisateur doué qui n’a pas froid aux yeux.
Parallèlement, un cinéma plus épuré, esthétique et tout aussi dysfonctionnel voit le jour, avec Jane Campion en chef de file. Ses deux premiers films, ’Sweetie’
et ’Un ange à ma table’ se promènent de festivals en festivals.
La consécration
Il faudra attendre 1993 et la Palme d’or attribuée à ’La Leçon de piano’ de Jane Campion pour que le monde daigne poser ses yeux sur les contrées sauvages des Kiwis. ’La Leçon de piano’ remporte de nombreux prix internationaux, dont trois oscars. Tous les regards convergent alors vers la Nouvelle-Zélande.
Le monde (re)découvre ses deux îles et surtout, son cinéma. Les Maoris ont même l’occasion de gagner le devant de la scène avec le film coup de poing "L’Ame des guerriers" de Lee Tamahori qui sort en 1994, véritable plongée dans la violence d’une banlieue pauvre d’Auckland. Le film est un franc succès, notamment en Europe et aux Etats-Unis.
Désormais, la brèche est ouverte et si des acteurs et metteurs en scène américains posent le pied aux antipodes pour y tourner, les réalisateurs néo-zélandais s’exportent à l’étranger, et amènent avec eux leur culture et leurs différences.
Le cas Peter Jackson
En 1994, Jackson obtient son passeport pour la gloire avec "Créatures célestes" . Inspiré d’un fait divers sanglant survenu à Christchurch (ville de l’île du sud de la Nouvelle-Zélande), le film révèle non seulement Kate Winslet dont c’est le premier long, mais aussi un cinéma mâture, dérangeant et sensible. Premier trophée pour Peter Jackson, un Lion d’argent à Venise et c’est le début de la renommée internationale.
Créatures célestes Bande annonce par hubbard
Il fait ses premières armes à Hollywood avec "Fantômes contre fantômes" en 1996
et peut enfin s’attaquer à son rêve de toute une vie, la transposition sur grand écran de la trilogie du "Seigneur des anneaux" , réputée inadaptable. Entre-temps il aura commis un faux documentaire particulièrement brillant et retors, "Forgotten Silver" qui démontre qu’il a les épaules suffisamment solides pour filmer les Hobbits.
Avec le colossal succès de la trilogie ( ’Le Retour du roi’ a récolté à lui seul plus d’un milliard de dollars de recettes et 11 oscars), Peter Jackson est vénéré comme un dieu vivant dans son pays natal.
Il est parvenu, avec des acteurs et des capitaux essentiellement américains, à créer un film pouvant être vu par les publics du monde entier et à le réaliser selon ses conditions et en Nouvelle-Zélande. Tant et si bien que ’Le Seigneur des anneaux’ est autant un film néo-zélandais qu’une production américaine... Peter Jackson met un point d’honneur à ce que ses longs métrages suivants comme "King Kong" soient tournés sur ces deux îles, aux paysages irréels.
Elles sont même devenues une manne financière : les circuits touristiques pour s’aventurer sur les lieux du tournage abondent, ainsi que les livres, les objets dérivés et l’on trouve même à Queenstown une boutique entièrement consacrée au ’Seigneur des anneaux’ et au "Monde de Narnia" , également réalisé en Nouvelle-Zélande.
Retour à l’autarcie ?
Depuis les années 2000, le nombre de productions locales diminue comme peau de chagrin et souffre de la comparaison avec celui des années 1990, âge d’or du cinéma néo-zélandais. Puisque Hollywood débauche les plus grands noms kiwis, autant aller directement aux Etats-Unis. Le modèle Peter Jackson est à double tranchant. En étant devenu un maître incontesté dans son pays et dans le monde entier, personne n’ose plus se mesurer à lui et peu à peu, l’identité néo-zélandaise périclite. Pire, il donne des envies d’exil, d’amnésie et d’un retour à la confidentialité et l’autarcie. Tous les réalisateurs néo-zélandais qui ont quitté leur pays natal n’y sont jamais revenus pour y tourner un film. On retrouve ainsi en 2003 Jane Campion aux USA dans un thriller érotique, "In the Cut" avec Meg Ryan,
Lee Tamahori est cantonné aux blockbusters tels que "Meurs un autre jour"
ou la bluette "Next". De même pour Martin Campbell, spécialisé dans les James Bond ou la saga "Zorro".
Seul Andrew Niccol semble insuffler un vent de soufre dans ses longs métrages (comme dans "Gattaca" ou "Lord of War" ), même s’il se plie à un casting composé de stars américaines.
Avec cette ouverture à l’international, le cinéma néo-zélandais s’est étiolé. Ses stars s’échappent (Russel Crowe en tête), les touristes affluent et les deux îles servent principalement de décors extérieurs aux productions yankees. Pour beaucoup, la Nouvelle Zélande est avant le lieu de tournage des dernières sagas hollywoodiennes. Dans une superficie à peine plus grande que la moitié de la France, on retrouve tous les paysages possibles et imaginables, des déserts de sable aux montagnes enneigées, des volcans endormis aux lacs turquoises, des rochers acérés aux campagnes à perte de vue. Une nature préservée à l’extrême qui fait les beaux jours des films épiques du monde entier.
La demande de films locaux devient également très faible. Le public néo-zélandais se contente de plus en plus des films internationaux à gros budget, mais aussi de longs métrages d’auteurs européens. Il existe ainsi à Auckland et Wellington un festival du film français où ont pu être projetés des titres tels que "La Tourneuse de pages" ou "L’Ivresse du pouvoir", sans oublier le joli accueil réservé à "La Science des rêves" de Michel Gondry un peu partout dans le pays. Un beau signe d’ouverture culturelle pour un pays qui semble s’être définitivement tourné vers l’extérieur, au point d’en avoir perdu les plus grandes caractéristiques de sa propre identité cinématographique...
Mais ce retour à l’autarcie est toutefois à nuancer. Parfois, des soubresauts du bon vieux temps jadis resurgissent. Dernier exemple en date, "Black Sheep" de Jonathan King, comédie d’horreur qui flirte avec les premiers longs de Peter Jackson (d’ailleurs remercié au générique), irrévérencieux et totalement déjanté : et si des moutons devenaient carnivores ? Et si l’on mutait en mouton-garou une fois mordus ? Un film gore qui fit les beaux jours du box-office local au printemps et qui obtint le prix du Public au Festival de Gerardmer. De quoi redonner des envies de cinéma aux futurs réalisateurs néo-zélandais et d’instaurer une nouvelle ère au 7e art des antipodes.