Le cinéma espagnol a été composé tout au long de son histoire par de grandes figures emblématiques. Luis Buñuel et Pedro Almodóvar sont les réalisateurs espagnols les plus influents en Europe et en Amérique latine ; nous pouvons également citer Segundo de Chomón, Florián Rey, Juan Antonio Bardem, Luis García Berlanga, Carlos Saura, Jesús Franco, Antonio Isasi-Isasmendi, Mario Camus, José Luis Garci, et Alejandro Amenábar.
1.Le cinéma muet (1896-1930)
On peut faire remonter à 1896 les premières manifestations cinématographiques en Espagne. Le 15 mai, un représentant des frères Lumière organise la première projection à Madrid et, à la fin de l’année, un Espagnol filme « La Sortie de la messe de midi à l’église du Pilar de Saragosse ». L’année suivante, Fructuoso Gelabert construit la première caméra espagnole et met en scène le premier film de fiction, « Riña en un café ».
Depuis il est considéré comme le père du cinéma espagnol. Il réalisera de nombreux films documentaires et les premières fictions espagnoles. Cependant un autre réalisateur pionnier, Segundo de Chomón a contribué, à l’instar de Georges Méliès en France, à développer les trucages cinématographiques.
Les années 1910 et 1920 se caractérisent par un grand nombre d’adaptations d’œuvres littéraires espagnoles, montrant un certain folklore national.
Les premiers studios de tournage sont édifiés en 1909 à Barcelone et Madrid, suivis, en 1910, de la création de la première revue cinématographique, « Arte y Cinematografia ».
Barcelone esti le centre de l’industrie cinématographique pornographique d’Espagne. Mais quand même y prédominent des appels "españoladas" qui exagèrent le caractère espagnol qui s’est prolongé jusque dans les années 1980. Les réalisations portent sur :
des drames historiques comme « Vida de Cristóbal Colón y su descubrimiento de América » (1917) du Français Gerard Bourgeois
des adaptations folkloriques comme « Los misterios de Barcelona » (1916) de Joan Maria Codina
des œuvres théâtrales comme « Don Juan Tenorio » de Ricardo Baños
des opérettes espagnoles
En 1928, Ernesto Giménez Caballero y Luis Beluga fonde le premier cinéclub à Madrid. La capitale devient dès lors le premier centre industriel cinématographique. Cette même année est placée sous le signe du premier film sonore du ciné espagnol avec la réalisation de « El misterio de la Puerta del Sol »de Francisco Elías Riquelme.
L’année 1930 est marquée par le drame rural avec « La aldea maldita » réalisé par Florián Rey qui a connu un réel succès à Paris.
2. Le cinéma parlant (1930-1936)
La fin du cinéma muet marque une première rupture dans l’histoire du cinéma espagnol. En 1930, l’industrie du cinéma espagnol se réduit à uniquement quatre titres D’un côté, deux Espagnols, Luis Buñuel et Salvador Dalí, commencent à Paris une carrière prestigieuse.
Salvador Dali
De l’autre, la crise de 1929 sonne le glas d’un cinéma national au profit de films espagnols tournés à Hollywood ou à Joinville par la Paramount. De cette colonisation par le capital américain, le cinéma espagnol ne sortira jamais tout à fait. La lutte contre ce cinéma espagnol tourné à l’étranger (c’est l’époque des grandes stars comme
Imperio Argentina
et
Carlos Gardel) prend, en 1931, la forme d’un Congrès hispano-américain de cinématographie, en 1932, celle de la réalisation du premier film parlant vraiment espagnol et, la même année, de la présentation au palais de la presse de Madrid de « Terre sans pain » (Las Hurdes), de Buñuel, dont l’auteur lit le commentaire depuis la cabine de projection. Ce film, l’un des trois tournés en Espagne par le plus grand nom du cinéma espagnol.
Bunuel _ Las Hurdes par XLanig
Toutefois l’année suivante, des infrastructures locales voient peu à peu le jour : CEA ( Cinematografia Española Americana) fondé en 1933 par Manuel Casanova, Cifesa (Compaña Industrial Film Español) en 1934, Filmfono en 1935. Si CEA et Filmfono sont en partie contrôlés par des capitaux étrangers, Cifesa, compagnie valencienne, est purement espagnole.
La proclamation de la République et naissance du cinéma parlant coïncident. Les débats politiques et sociaux se retrouvent au sein même de la création cinématographique. Filmfono, à gauche, est supervisée par Buñuel, la Cifesa choisit le parti de la droite monarchiste et ultra-catholique
17 films ont été tournés en 1937 et 21 en 1934 dont le premier succès du cinéma sonore espagnol « La hermana San Sulpicio » (1934) de Florián Rey.
La production de films ne cesse d’augmenter jusqu’à 24 œuvres en 1935. Pendant ces années de productions, les réalisateurs qui sont parvenu à obtenir l’approbation du public populaire comme Benito Perojo, à qui on doit « El negro que tenía el alma blanca » (1934)
et « La verbena de la Paloma » (1935), le principal succès du cinéma espagnol à cette période.
Cela aurait pu être le début de la consolidation de l’industrie cinématographique espagnole, cependant le début de la guerre civile interrompt ce progrès. Avec la guerre civile, dès 1936, la production change de visage. La production commerciale s’efface (25 longs-métrages), mais les documentaires (plus de 200 docs et courts-métrages) et films de propagande foisonnent. Les forces politiques et syndicales prennent peu à peu possession de l’outil cinéma. La Révolution invente un cinéma militant, transmet ses valeurs, se sert des films pour mobiliser l’opinion.
3. Le cinéma et le franquisme
Avec l’avènement du franquisme, en 1939, le cinéma espagnol entre dans la période la plus tragique de son histoire : production réduite au minimum, censure plurielle (militaire, politique, religieuse…). Via le Ministère de l’Intérieur et de la Propagande, la dictature contrôle toutes les formes de création, au premier rang desquelles le septième art.
Contrôlée par le franquisme, la Cifesa devient la voix de son maître. Les valeurs prônées sont le passé glorieux du pays, le patriotisme, la religion catholique, le culte de la guerre. Sous le pseudonyme de Jaime de Andrade, le Caudillo scénarise lui-même le film « Raza » ("race" en espagnol) (1941) réalisé par José Luis Sáenz de Heredia. Un modèle du genre…
Autres genres prônés à l’époque, les films de croisade et les films religieux. Emblématique de cette censure, la création, en 1952, de la Junta de classification y de censura de las peliculas (Assemblée de classification et de censure des films) dont la mission est de juger le contenu moral, politique et social des films.
On note pourtant quelques rares tentatives de productions indépendantes, par exemple sous la houlette du scénariste et réalisateur Edgar Neville ou de Lorenzo Llobet-Gràcia auquel on doit « Vies dans l’ombre » (Vida en Sombras, 1947).
Le nouveau directeur de la cinématographie appuie un courant néoréaliste, à ses risques et périls. Quelques films commerciaux connaissent le succès à l’étranger. A la fin des années 1950, Franco assouplit la censure et ouvre la voie à des coproductions avec des compagnies étrangères. Allemands, Italiens, Américains investissent le territoire pour des tournages de péplums et westerns spaghettis. L’Espagne leur fournit décor et main d’œuvre
Créée par un Français mais vivant grâce à des capitaux et du personnel local, la société Eurociné donne naissance à des produits à bas coût mais à l’apport important, type séries Z, porno-soft, films d’horreur. Le marché français a droit aux versions intégrales, les Espagnols découvrent des versions plus softs, qui ne risquent pas de heurter la morale et surtout pas la censure franquiste : exit le sexe, exit la violence.
Parallèlement à ce cinéma commercial, quelques auteurs apparaissent. Le nouveau cinéma espagnol voit le jour.
Carlos Saura émerge à la fin des années 1950. S’inscrivant dans une certaine tradition néoréaliste. Son premier film, « Los golfos _ Les voyous », applaudi au festival de Cannes 1960, ne sortira en Espagne qu’en 1963 amputé des dix minutes de scène d’amour..
Exilé au Mexique puis en en France,
Luis Bunuel revient pourtant en Espagne, après 24 ans d’absence, pour y tourner « Viridiana ».
Un événement ! Le film, qui obtient la palme d’or à Cannes en 1961 - ex æquo avec « Une aussi longue absence » - est pourtant interdit dans son pays jusqu’en 1977, deux ans après la mort de Franco.
Le réalisteur Victor Erice critique l’Espagne franquiste avec « L’Esprit de la ruche » (1973).
Manuel Gutiérrez Aragon commence à percer. La fin de la dictature pointe le bout de son nez.
Les années 1968 à 1975, avant la fin de la dictature, voient l’émergence et l’âge d’or du cinéma fantastique espagnol, qui n’a pas toujours été évalué à sa juste valeur. En partie imitant le modèle anglo-saxon, ce genre connaît une trentaine de films phare et quelques brillants serviteurs. Jesus Franco, de son vrai nom Jesus Franco Manera (réalisateur de « L’horrible docteur Orlof »,
« Gritos en la noche », en 1962), Narcisso Ibanez Serrador signe « La résidence » (1971) et « Les révoltés de l’an 2000 » (1976).
Parmi les plus foisonnants des créateurs du genre,
Jacinto Molina (plus connu sous le nom de Paul Naschy), au parcours singulier. D’abord étudiant en architecture, puis champion d’haltérophilie, il devient acteur, scénariste, réalisateur et producteur : c’est une véritable institution à lui tout-seul. Il devient fasciné par l’épouvante après avoir assisté à une projection du film Frankenstein et le loup garou !
4. La transition
La censure s’éteint peu à peu après la disparition de Franco, des aides à la création voient le jour. Au début, c’est le documentaire qui passe au crible l’histoire proche du pays : « Chansons pour l’après-guerre » (1977), « Après… » (1980). Politique, régionalisme, mœurs, rien n’échappe à l’inspiration des réalisateurs.
Et « Cria Cuervos » de Carlos Saura (1976)
La nomination d’un nouveau directeur de la cinématographie, Pilar Miro, entre 1982 et 1985, est pour beaucoup dans ce foisonnement créatif tous azimuts.
5. L’après franquisme
La figure la plus fervente de ces années, emblématique de la movida madrilène, et qui affiche un succès fou, bien au-delà des frontières espagnoles, c’est évidemment
Pedro Almodovar. Son premier long-métrage coïncide avec le retour de la démocratie : c’est « Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier » (1980),
et jusqu’en 1987 avec « Femmes au bord de la crise de nerf » ses films seront empreints de l’énergie de la Movida. Anticonformiste, indépendant, il n’hésite pas à jouer la provoc amusée. En passant au crible les bouleversements de la société espagnole, il mêle humour, mélo, engagement et livre des portraits - de femmes souvent - bouleversants. Il a notamment fait connaître Carmen Maura, Victoria Abril ou Marisa Paredes mais aussi Antonio Banderas et
Penélope Cruz, qui ont ensuite affiché une carrière transatlantique.
Dans la lignée de Pedro Almodovar, le cinéma espagnol trouve un indéniable regain de vitalité. Plusieurs cinéastes font leur apparition, avec des univers qui témoignent de la richesse des inspirations et des sujets.
Alex de la Iglesia joue la carte de la comédie burlesque, Alejandro Amenábar celle du fantastique.
D’origine chilienne, Amenábar arrive à Madrid à l’adolescence. Son premier film, « Tesis », est salué par le public et la critique en 1996, puis vient « Ouvre les yeux », sorti en 1998 avec Edouardo Noriega et Penélope Cruz, adapté à Hollywood par Cameron Crowe (« Vanilla Sky ») avec Tom Cruise, aux côté de Penelope Cruz qui reprend son rôle. Pendant ce temps il tourne en anglais : son film « Les Autres », avec Nicole Kidman, connaît un succès international (2001). Il creuse à sa façon un sillon à succès dans les années 1970 et signe un film plus personnel et émouvant sur l’euthanasie, « Mar adentro ».
Des réalisateurs comme León de Aranoa ou Achero Manas se penchent quant à eux davantage sur les problèmes sociaux : violence, chômage… Julio Medem signe « Tierra » (1995), « Lucia y el sexo » (2000) qui se font aussi connaître hors des frontières. Comme Almodóvar est le porte-flambeau de la madrilène, Bigas Luna (de son vrai nom Juan José Bigas Luna), lui, s’illustre comme le représentant de l’avant-garde barcelonaise. Ses principaux films : « Jamon jamon » (1992), « Macho » (1993), « Le téton et la lune » (1994). Mais c’est Jaime Rosales qui avec « La soledad » (2007) se montre l’espoir le plus sérieux du jeune cinéma espagnol.
Certains acteurs connaissent aussi une carrière brillante hors d’Espagne : c’est le cas de Javier Bardem ou d’Eduardo Noriega. De cinquante films par an dans les années 1980, la production a atteint 172 films en 2007, dont une quarantaine de documentaires. En 2007,
« L’orphelinat » de Juan Antonio Bayona figure en tête du box-office espagnol et
« REC » de Paco Plaza et Jaume Balagueró dans les vingt premiers.