LE CINEMA ARGENTIN
Le cinéma argentin est l’un des plus dynamiques d’Amérique centrale et du Sud. IL fut très prolifique dans les années 40 et 50 avec 60 films sortis par an. Puis après les années d’éclipse de la dictature Peron, il connait une renaissance importante depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, les grands festivals de films internationaux sélectionnent régulièrement les films argentins et la qualité de la production nationale est remarquée. La production nationale reste quantitativement modérée, mais Buenos Aires est de fait, une ville qui attire soixante à quatre-vingt tournages chaque année. Considérée souvent comme un prolongement de l’Europe, l’Argentine n’en appartient pas moins au continent sud-américain, avec un particularisme culturel et politique très marqué.
Les racines culturelles du cinéma argentin
Parallèlement à l’émergence du sentiment national, au XIXe siècle, des thèmes spécifiques à l’Argentine apparurent dans la culture. Ainsi, le personnage du gaucho, le gardien de troupeau de la Pampa, est présent dans la littérature et en particulier dans la poésie. De même, la musique traditionnelle argentine s’inspire beaucoup du folklore des hommes de la Pampa.
Le tango, originaire de Buenos Aires et qui devint, partout dans le monde, l’une des danses de bal les plus répandues, constitue peut-être la plus fameuse contribution de l’Argentine à la musique contemporaine. Astor Piazzolla, compositeur prolifique de tango du XXe siècle, chef d’orchestre et interprète, intégra à son oeuvre l’influence du jazz et de la musique classique. Sous l’influence des Italiens, la musique symphonique et l’opéra sont, par ailleurs, devenus parties intégrantes de la vie culturelle argentine.
La littérature argentine du XXe siècle est également prolifique avec les écrivains : Julio Cortázar, Manuel Puig et Jorge Luis Borges.
Les débuts du cinéma argentin
Le cinématographe Lumière a été présenté pour la première fois à Buenos Aires le 18
juillet 1896, deux jours avant le Vitascope d’Edison. C’est un Français, Eugène Py, qui filme les premiers mètres de pellicule, un drapeau argentin flottant au vent. « La Bandera Argentina » fut le premier film argentin produit en 1897. En 1908, Mario Gallo réalise le premier film de fiction : « El fusilamiento de Dorrego ». Le premier long métrage fut un drame d’Enrique García Velloso : « Amalia » (1914).
Le nationalisme imprègne le premier succès public, « Noblesse gaucha » (Humberto Cairo, Eduardo Martinez de la Pera et Ernesto Gunche, 1915), des péripéties entre la campagne et Buenos Aires - alors la principale métropole sud-américaine - , dont le comique appuyé se fait au détriment d’un immigré italien peu dégourdi.
A défaut d’une Cinémathèque nationale digne de ce nom, c’est grâce au « Musée municipal du cinéma de Buenos Aires » que nous connaissons aujourd’hui le cinéma muet argentin. « La dernière attaque indienne » (Alcides Greca, 1918), produit à Rosario, illustre le dilemme classique de Sarmiento entre la civilisation urbaine et la barbarie des provinces indigènes, avec un mélange curieux d’authenticité et de roublardise. Cette problématique connaîtra une version plus compassionnelle et conventionnelle, « La flûte de la mort » (Nelo Cosimi, 1928).
Le premier cinéaste qui compte est José Augustin Ferreyra, un métis de mère noire et de père espagnol. Cinéaste du Buenos Aires pauvre et populaire, il réalise « El Tango de la muerte » (1917),
« El Organito de la tarde » (1925) et « Muñequitas porteñas » (1931), premier film parlant argentin.
Pendant le muet, les projections sur la calle Corrientes, la Broadway portègne, étaient accompagnées par les « orchestres typiques » dévouées au tango. Max Glucksmann, exploitant, distributeur et producteur d’actualités, était également le premier éditeur de partitions musicales, à un moment où la musique argentine devenait un produit d’exportation.
Le cinéma parlant
Autant dire que le parlant a favorisé les vases communicants entre tango et cinéma. Le réalisateur José Agustin Ferreyra, dont la carrière commence en 1915,s’imprègne de l’ambiance mélodramatique de la chanson populaire et fait de Libertad Lamarque une véritable star. La Paramount comprend très vite le potentiel du tango et prend sous contrat son principal interprète, Carlos Gardel, légende vivante avant son décès accidentel en 1935.
Les producteurs argentins vont exploiter jusqu’à la satiété la même veine, alternant les mélos larmoyants et les comédies populistes. Une comédienne à la verve intarissable est restée dans les mémoires : Nini Marshall.
« El cantar en mi ciudad » constitue, en 1930, le premier film sonore de José A. Ferreyra. Au cours des années trente s’implante une industrie puissante, la seule à concurrencer le Mexique sur le marché hispanophone (13 films en 1935, 50 en 1939). Les films s’adressent soit aux classes dirigeantes et moyennes, à travers des comédies douceâtres, soit à un public urbain tenté par des films populistes, parmi lesquels ceux du prolifique Luis Cesar Amadori (plus de 60 longs métrages entre 1936 et 1938).
Un cinéma esthétisant se manifeste en marge, qui influencera ultérieurement le style du cinéma argentin. Dans la lignée d’une recherche d’une authenticité nationale à la manière de Ferreyra, Mario Soffici réalise en 1939 « Prisioneros de la tierra », qui dénonce l’exploitation dans les champs de maté,
et Leopoldo Torres Ríos, « La Vuelta al nido » (1938).
L’âge d’or du cinéma argentin
A la veille de la seconde guerre mondiale, les grands studios se multiplient dans les banlieues de Buenos Aires : Lumiton, Argentina Sono Film et Estudios San Miguel, où les réfugiés républicains espagnols trouvent refuge auprès d’un patron d’ascendance basque, Miguel Machinandiarena. Ainsi, « La dame fantôme » (Luis Saslavsky, 1945) est une savoureuse Kermesse héroïque hispanique, avec des dialogues de Calderon de la Barca revus par le poète Rafael Alberti.
En 1942, l’industrie cinématographique argentine à son apogée contrôle trente studios employant 4 000 personnes et produit cinquante-six films (le Mexique en crise n’en produit que 42). Alors que l’Argentine dominait la production en langue espagnole, les Etats-Unis vont soutenir son principal concurrent, le Mexique, pour des raisons politiques. En effet, les militaires qui s’emparent du pouvoir en 1943 gardaient une neutralité complaisante envers les Allemands, très présents en Argentine. En 1950, l’Argentine, toujours avec cinquante-six films, se situe loin derrière le Mexique (125 films).
L’éclipse péroniste et la relance
Pendant le régime du général Juan Domingo Peron (1945-1955), une starlette, son épouse Evita Peron, impose une liste noire d’artistes interdits à l’écran et sur les ondes. Lamarque, Marshall et bien d’autres prennent le chemin de l’exil et renforcent le rival mexicain. Le contrôle péroniste se concentre sur les actualités, mais la crainte fige la production argentine dans ses vieux clichés.
Pendant la décennie péroniste (1946-1955), l’industrie régresse (12 films en 1956). La relance ne vient qu’en 1958, avec la « génération des ciné-clubs » et l’encouragement au court métrage. La figure la plus connue de cette époque est alors Leopoldo Torre Nilsson (fils de Torres Ríos). Le tandem qu’il forme avec la romancière Beatriz Guido, son épouse, va produire une œuvre au climat oppressif et à l’esthétique expressionniste, voire baroque : la trilogie « La maison de l’ange » (1957),
« La chute » (1959), « La main dans le piège » (1961), le situe parmi les dix cinéastes vivants les plus importants, selon la critique anglo-saxonne. Au cours d’une carrière prolifique et inégale, Torre Nilsson n’hésite pas à emprunter un néoréalisme cru (« Le kidnappeur », 1958), à s’attaquer aux blocages politiques (« Fin de fiesta » (1960) fut l’un des premiers films à attirer l’attention de l’Europe, qui y reconnaissait son esthétique). ou à adopter la liberté de ton de la nouvelle génération (« La terrasse », 1963), qu’il soutiendra contre la censure et contre la frilosité des producteurs traditionnels.
Le NUEVO CINE et les années de braise
La « génération des années 60 » ou « Nuevo Cine » est une nébuleuse hétérogène où cohabitent David José Kohon, Leonardo Favio, Lautaro Murua, Manuel Antin, Fernando Birri, parmi d’autres, plus ou moins partagés entre l’inquiétude sociale, l’intimisme et les influences littéraires. Cependant, avant même d’avoir atteint son épanouissement, cette relève bute sur de nouveaux interdits, après le coup d’Etat de 1966. Tandis que le cinéma argentin, dans le climat de crise de la société, cherche son public entre folklore et témoignage, un réalisateur atypique émerge avec un modèle de film qui va faire école en Europe : Fernando Solanas, fondateur de "Cine Liberación" et auteur de « L’heure des brasiers » (1966-1968), vaste montage de documents d’actualités, d’interviews et de citations, qui se veut une contestation de l’ordre politique non seulement argentin, mais aussi sud-américain tout entier. Ce disciple de Bitti devient la référence du cinéma politique de tout le continent, et le second réalisateur argentin international après Torre Nilsson.
Sous la pression, le cinéma se trouve polarisé entre une tendance à la radicalisation militante, symbolisée par le documentaire « L’heure des brasiers » de Fernando Solanas et Octavio Getino (1968),
et l’allégorie, dont témoigne magnifiquement « Invasion » de Hugo Santiago (1969), d’après un scénario de Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares.
Le printemps démocratique de 1973 favorise un éventail d’expression plus large, mais va être de courte durée, puisque le putsch de 1976 plonge l’Argentine dans la terreur. Cette période voit l’affirmation des réalisateurs Adolfo Aristarain (« Le temps de la revanche », 1981) et Maria Luisa Bemberg (« Camila », 1984).
Le renouveau du cinéma argentin
En 1983, la censure est abolie et la démocratie de retour. Le cinéma est désorganisé, les cinéastes en exil ou réduits à des travaux mineurs. La renaissance du cinéma sous la démocratie tient du miracle, après une évolution chaotique, aussi peu propice à la production. Manuel Antin y a contribué à deux titres, d’abord par sa gestion pluraliste à la tête de l’Institut national de la cinématographie, en 1983, lors du retour de la démocratie, et ensuite par la création, en 1991, de la Fondation Université du cinéma (FUC), qui donne le coup d’envoi d’une véritable explosion des études professionnelles à Buenos Aires.
La première œuvre à avoir lancé cette mode est « Rapado », de Martin Rejtman, en 1996.
L’une des réussites de ces années de renouveau est « Garage Olimpo » (Marco Bechis, 1998), qui traite de la dictature militaire en nous contant l’histoire d’une de ses disparues. « Mundo Grúa » de Pablo Trapero sort en 1999, évoquant les problèmes du chômage sur un ton sarcastique. Puis « Silvia Preto » de Martin Rejtman (1999) confirme l’embellie cinématographique argentine.
Redevenue une métropole bouillonnante, la capitale se dote d’un festival de cinéma indépendant qui ravit la primauté au Festival international de Mar del Plata, davantage soumis aux aléas institutionnels. Buenos Aires est sans doute la ville avec le plus grand pourcentage d’étudiants de cinéma par habitant au monde ! De ce désir de rédemption par l’image naît un nouveau cinéma argentin au tournant du siècle. Jamais le pays n’avait connu une profusion pareille de vocations, une telle variété de tendances. Le grand public local et international a fait un triomphe à « Dans ses yeux » (2009), mis en scène par Juan José Campanella, un Argentin habitué des séries américaines, opportunément oscarisé.
Quelques films évoquent l’horreur passée, comme « Les Trottoirs de Saturne » (1985) d’Hugo Santiago, ou « Noces secrètes » (1988) d’Alejandro Agresti. Dans l’ensemble pourtant, la production flatte la bonne conscience du pays et entretient la conviction largement partagée que les exactions de la junte se sont déroulées dans l’ombre, sans que personne n’en sache rien. « L’histoire officielle » (1986) de Luis Puenzo, oscar du meilleur film étranger, est représentatif de ce cinéma opportuniste et amnésique. Une femme soupçonne que sa fille adoptive est une enfant de disparus : le ressort dramatique n’est pas le sort de la fillette, ni celui de ses parents torturés et tués, mais la crise d’identité de l’héroïne, condamnée au doute.
Solanas réalise en 1986, en coproduction avec la France, « Tangos, l’exil de Gardel », interrogation sur l’identité argentine, puis en 1988 Le Sud, retour halluciné sur la période de la dictature.
Le Tango argentin, extrait de Tangos, l’exil de Gardel
Économiquement, le cinéma argentin doit faire face à l’inflation, qui fait chuter les recettes de façon vertigineuse. Les spectateurs, qui étaient 61,4 millions en 1984, ne sont plus que 28,5 millions en 1988. Plus dérangeant, le « nouveau cinéma » qui perce n’est guère encouragé. En 1994, une loi sur le cinéma crée deux nouveaux impôts – sur les cassettes vidéo et sur la diffusion par la télévision – qui s’ajoutent à la taxe sur les entrées en salle. Or, elle accorde les aides a posteriori, non en fonction de la qualité des films, mais de leur rentabilité. A peine promulguée, la loi est victime de la crise économique et le fonds de soutien réduit au tiers de sa valeur. Quant aux clauses visant à aider le cinéma d’auteur, elles n’ont jamais été appliquées. Résultat, « Manuelita » (1999) a reçu, grâce à ses deux millions de spectateurs, une subvention bien supérieure à celles de « Mundo Grua » (respectivement 68 000 et 14 000 entrées).
La production argentine de la fin des années 90 oscille entre 20 et 30 titres par an. Le marché intérieur ne suffit pas à amortir des films qui ont coûté un à deux millions de dollars, mais les cinéastes consacrés ne veulent pas renoncer à ce type de budget. Esteban Sapir affirme lui : « Il faut réaliser des films sur la vie quotidienne, aller chercher la dureté dans la rue. Il faut transformer le cinéma en poétisant la réalité ». Tous racontent l’histoire douloureuse du pays, portent l’empreinte de leur génération, utilisent les mêmes moyens de production, rejettent toute rhétorique et s’intéressent à l’identité. Ils évoquent souvent, sans pitié mais avec passion, l’Argentine d’Alfonsin et de Menem, l’après-dictature et les ravages de la libéralisation économique.
Le cinéma nouveau
Le « nouveau cinéma argentin » est une appellation utilisée pour qualifier une génération qui s’attache à parler de son pays tout en adoptant un langage cinématographique universel, éloigné des considérations commerciales. Ce mouvement crée des œuvres qui mettent en scène souvent des acteurs inconnus, autour d’histoires réalistes tournées avec des petits budgets. Le regard des réalisateurs a changé. Ils ne sont plus hantés par les fantômes du passé et cherchent une nouvelle voie d’expression artistique plus libre. On note parmi ces réalisateurs, les jeunes Bruno Stagnaro et Israel Adrian Caetano auteurs de « Pizza, birra, faso ».
Cette création indépendante a su s’épanouir et obtenir une reconnaissance internationale. C’est le cas de Lucrecia Martel, qui s’illustra avec « La Ciénaga » en 2001. La réalisatrice remporte alors des distinctions dans plusieurs festivals internationaux, dont un Ours d’Or à Berlin. Les critiques ne tarissent pas d’éloges sur les œuvres suivantes de la réalisatrice, dont la « Nina santa » (La fille sainte) et « la mujer sin cabeza » (La femme sans tête). Dans la même veine, Lisandro Alonso s’illustre avec « La Libertad »(2001), « Los muertos » (2004), « Fantasma » (2006) et « Liverpool » (2008), devenant un des réalisateurs les plus prolifiques d’Amérique Latrine.
Carlos Sorin est un autre grand nom du cinéma argentin. Il a réalisé notamment « Historias minimas » (2002), prix Goya du meilleur film en langue espagnol, « Bombon el perro » (2004) qui a reçu 7 nominations au festival Condor de Plata, ou plus récemment « Jours de pêche en Patagonie » (2012) qui met en scène les superbes paysages de cette région.
Talent confirmé, le réalisateur Pablo Trapero est déjà un habitué des tapis rouges de Cannes. Son premier film « El Bonaerense », fut présenté à Cannes en 2002, suivi de « Leonera » en 2008 et « Elenfante blanco » en 2012. Non présent à Cannes, mais néanmoins excellent, le film « Carancho » met en scène deux acteurs fétiches Darin et Gusman.
Dans un autre style, moins spectaculaire, le réalisateur David Burman crée d’excellentes œuvres traitant de la problématique de la famille ou de la vie de la communauté juive de Buenos Aires, notamment dans le quartier d’Once. Parmi ces œuvres, dont plusieurs furent présentées dans les festivals majeurs comme La mostra ou Sundance, ne pas manquer « Derecho de familia » et « El nido vacio »
Parmi les succès récents du cinéma argentin à Cannes, il faut citer « XXY » et « Wakolda » de Lucia Puenzo, « La mirada invisible » de Diego Lerman (présenté en 2010), « Labios de Santiago Loza » (en compétition en 2010), « Los Acacias » de Pablo Giogelli (Caméra d’or en 2011), « Enfance clandestine » de Benjamin Avila ( présenté en 2012), « Los Salvares » d’Alejandro Fadel (prix ACID lors de la semaine de la critique en 2012) ou « Los Dienos d’Agustin » d’Augustin Toscano et Ezequiel Raduski.
Parmi les succès publiques en France, citons « El chino » de Sébastian Borensztein, « Médianeras » de Gustavo Tarreto ou « Hombre de la alto » (l’homme d’à coté), une excellente critique de la société argentine. Enfin notons les succès mondiaux comme « Neuf Reines » (2000) de Fabián Bielinsky et « Dans ses yeux » de Juan José Campanella qui reçut l’Oscar 2010 du Meilleur film étranger.
Les cinéphiles ont retenu depuis leur premier film les noms de (« Mundo Grua », 1999), et de Martin Rejtman (« Silvia Prieto », 1998).
Des enfants de militants disparus ou morts sous la dictature militaire ont embrassé le documentaire subjectif, avec une narration à la première personne, pour procéder à leur travail de deuil ou au devoir de mémoire, sans complaisance à l’égard des générations précédentes, comme le montrent « Les blonds » (Albertina Carri, 2003) et « M » (Nicolas Prividera, 2007), précédés par « La télévision et moi » (Andrés Di Tella, 2002) pour sa subjectivité assumée.
Depuis le début du siècle, le Cinéma Argentin occupe le haut du panier cinématographique. Chaque année est l’éclosion d’un film de renommée internationale primée à de nombreux festivals.